Professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, l’Ethiopien Mehari Taddele Maru, cite un récent rapport du Financial Times selon lequel “près de 6.000 migrants, dont 25 % d’enfants, sont entrés en Espagne après que le Maroc ait décidé de réduire l’effectif de ses forces de l’ordre”. Ceci a été la conséquence de l’acceptation par Madrid d’accueillir secrètement en avril dernier Brahim Ghali, chef du Front Polisario, la milice séparatiste sahraouie.
Selon Maru, une nouvelle diplomatie migratoire agressive a émergé depuis le sommet de La Valette sur les migrations. “L’Union Européenne a ainsi commencé à recourir à des mesures persuasives et coercitives pour obliger les pays africains à contenir ou à stopper la migration vers l’Europe”, écrit-il.
Ainsi, “les partenariats, les aides financières, la diplomatie internationale et la coopération sécuritaire ont été réorientées comme subordonnées à l’agenda migratoire”, déplore cet expert Ethiopien dans les relations géostratégiques.
En effet, ajoute-t-il, l’asymétrie de pouvoir (financière et africaine) entre l’Europe et l’Afrique a chambouler les priorités de l’Afrique et créé des pressions pour mettre en œuvre des politiques qui prioritisent les intérêts de l’Europe au détriment de ceux des pays africains et des migrants. Ce décalage de pouvoir “enclenche une dynamique dans le partenariat migratoire Afrique-Europe qui oblige les pays à exploiter la migration et les migrants comme levier supplémentaire pour contrebalancer l’asymétrie”.
Aujourd’hui, “l’empreinte de l’UE sur les questions migratoires est massive et étendue en Afrique”, considère Mehari Taddele Maru. Cette influence semble être portée par le Fonds fiduciaire de l’Union européenne pour l’Afrique (EUTF). Doté de 5 milliards d’euros pour soutenir 204 projets dans 26 pays africains, ce Fonds a, aux côtés d’autres mécanismes européens, conduit à “une concurrence entre les branches des gouvernements locaux pour travailler avec l’UE et l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX), afin d’accéder à un soutien financier et diplomatique pour leurs institutions respectives.
En effet, de nombreux pays africains ont mené, depuis la déclaration de La Valette, une série de négociations avec l’UE et bilatéralement avec les pays européens, ainsi qu’avec des organisations internationales comme la Banque mondiale, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
En conséquence, “plusieurs pays africains ont révisé leurs lois relatives aux réfugiés et à la traite des personnes, au trafic de migrants et à la migration de main-d’œuvre, afin de les aligner sur les engagements pris dans le cadre de la Déclaration de La Valette, du Cadre d’intervention global des Nations Unies pour les réfugiés de New York, et des accords bilatéraux avec l’UE et ses États membres”, .
Mais dans quelle mesure ces partenariats prennent-ils en compte les préoccupations et les aspirations des décideurs politiques africains en matière de migration ? et quels sont les déterminants essentiels de l’élaboration des politiques migratoires africaines ?, l’auteur cite plusieurs stratégies et recherches élaborées pour le compte de l’Union africaine.
Sans surprise, l’extrême pauvreté est considérée comme la principale cause de migration des jeunes Africains le long de routes dangereuses et parfois même mortelles, comme le rappelle Mehari Taddele Maru.
Le deuxième déterminant des décisions politiques et des niveaux de coopération en matière de migration est la nature du régime (démocratie, transparence et responsabilité). Comme d’autres domaines de prise de décision publique, la politique migratoire est calculée en fonction des coûts ou des avantages associés à la politique intérieure basée sur la circonscription et des gains financiers à tirer de la coopération. Ce calcul coûts-avantages, à son tour, dépend largement du type de régime et de la façon dont il répond aux pressions politiques et aux risques diplomatiques.
Dans cette chronique, Mehari Taddele Maru revient également sur la responsabilité des Etats à assurer la protection des migrants.
Dans les pays démocratiques, “les gouvernements sont confrontés à des défis plus sévères étant donné que les décisions sur la migration sont considérées comme une violation du droit international des droits de l’Homme. Les institutions démocratiques constitutionnelles et la pression des électeurs contrôlent les actions du gouvernement”, écrit-il.
Toutefois, “en l’absence de tels mécanismes de responsabilité constitutionnels, les régimes moins démocratiques sont rarement confrontés à la pression en matière de prise de décision, notamment en ce qui concerne le retour des migrants clandestins”.
Et d’affirmer que “la responsabilité vis-à-vis du public et la réactivité envers les médias et des autres parties prenantes affectent le degré de coopération et de mise en œuvre des politiques”. Pour lui, “la nature des pays de destination d’où les migrants reviennent (démocratiques ou autoritaires, économiquement développés ou non) a un impact sur la prise de décision du côté africain”.
“C’est pourquoi certaines routes migratoires sont plus importantes pour les partenaires que d’autres. A titre d’exemple, les routes de la Méditerranée orientale bénéficient d’une grande attention politique, d’une couverture médiatique et d’une allocation de ressources malgré l’énormité, la gravité et les implications des autres routes plus critiques”, estime l’auteur de la chronique.
En clair, “la pression diplomatique et la responsabilité juridique fonctionnent plus efficacement dans les pays de destination européens qui jouissent de démocraties et de l’Etat de droit et des institutions que sur les itinéraires du Moyen-Orient avec moins de transparence et moins de responsabilité juridique et politique”.